J’ai découvert Jean-Philippe Blondel l’année dernière avec « Et rester vivant » ici . J’ai ensuite lu « This is not a love song » ici et « Accès direct à la plage » ici.
06h41 est son nouveau roman et je dois avouer que ce livre m’a littéralement assis, le cul par terre en permanence.
Page 163 il est dit ceci : « Every cloud has a silver lining ». Rassurez-vous, le roman est en français…mais si chaque nuage (noir) à un trait d’argent, chaque page du livre de Jean-philippe Blondel contient sa pépite, son évidence, sa lumière, son étincelle.
L’histoire est banale : un homme et une femme se retrouvent par hasard dans un train, A Troyes, un lundi matin, vingt sept ans après avoir eu une courte liaison qui s’est mal terminée, un soir , à Londres.
Ils sont assis cote à cote, et le temps du trajet vers Paris, ils vont développer les photos de leur vie. Ils ont quarante-sept ans et 1h30 de trajet pour renouer le dialogue…ou pas.
J’aime le train… « J’aime bien les trains. Les heures passées à ne rien faire en particulier…c’est comme si on allait à la plage, et, comme à la plage, on n’ouvre ni les romans, ni le magazine, on ne mâche pas de sucreries et on oublie même de s’hydrater. On est hypnotisé par le paysage qui défile ou par le rythme des vagues. »
Histoire simple, mots simples,construction simple (un chapitre , un personnage) phrases souvent très courtes…résultat impressionnant.
06h41 est un roman que j’ai dévoré, adoré, c’est un vrai coup de foudre, je l'ai carrément relu immédiatement. C’est un livre fort, universel, sobre, profond sans jamais être lourd, pathos ou vulgaire. Les mots de Jean-Philippe Blondel désinfectent nos plaies sans jamais occasionner de douleurs, comme un spray antiseptique qui nettoierait sans jamais piquer. Un écrivain, actuel, vrai, simple, authentique, qui suit sa ligne et son instinct, qui trace sa route avec bonheur.
Le parcous de ses personnages est un peu le notre, beaucoup même, l’identification est aisée.
Ce livre parle de la mémoire des émotions : « Je dois me rappeler ça : la plupart des gens ont une touche « supprimer les fichiers » sur laquelle ils appuient à un moment donné, quand leur cerveau est au bord de l’ébullition après des malentendus, des trahisons, des hontes, des blessures – et là, des pans entiers d’existence disparaissent, les visages, les noms, les adresses, les couleurs, tout passe à la trappe, direction les égouts de l’inconscient. »
Mais surtout, Blondel parle du temps qui s’écoule, mal ou inexorablement, mais qui s’écoule : A vingt ans, son personnage féminin dit ceci : « Je ne voulais plus être celle qui observe. Celle qui absorbe. Celle qui se tient à l’écart et jette un regard indifférent au spectacle du monde. Je voulais être dedans. Réellement dedans. Je n’avais pas envie d’être artiste. J’aspirais à devenir une héroïne. Vivre des passions, des haines, des amours, des détestations, me jeter sur un lit en pleurant toutes les larmes de mon corps, me tirer les cheveux de désespoir, sauter de joie, me précipiter dans des bras, tenir des mains, tenir une main – et mener la danse »
Passé quarante ans, son personnage masculin du livre dit ceci : « il y a moins de place pour la surprise à quarante- sept ans. On est embarqués dans un quotidien qui nous dépasse – couple, divorce, enfants, travail, vie sociale, obligations. Seules les insomnies parfois nous libèrent, en nous révélant la vanité de ce que nous entreprenons. »
Blondel touche là où ça fait mal…par exemple lorsqu’il parle des parents qui vieillissent, « Je me demande s’il y a des gens qui savent s’occuper de leurs parents, quand ils sont vieux. Vieux et pas encore grabataires. Vieux et vulnérables. Et amers. ».
06h41 parle aussi des enfants qui grandissent (joliment comparés à un envol de ballon de baudruche au milieu d' cathédrale ), des humains qui pataugent dans des mares ou glissent sur des flaques…c’est selon, rien n’est jamais figé indubitablement...
Jean-Philippe Blondel (c'est lui sur la photo)ne verse jamais dans le nihilisme ou la désespérance, si vous avez lu « Et rester vivant » vous savez que ce n’est pas le genre de la maison.
On se reconnaît dans les personnages de 06h41 même si l’on n’a pas vécu les mêmes choses, même si l’on est différent. Les fêlures et les doutes sont les mêmes pour tous et Jean-Philippe Blondel aborde les failles de l’être humain avec lucidité, dérision, tact et humour même si je n’ai pas choisi les passages qui m’ont fait rire pour rédiger cette chronique.
Pour terminer et avant de vous laisser, cette pensée : « Personne ne nous a jamais prévenus que la vie c’était long. Que les slogans faciles qui font battre le cœur, les « vivre vite », les « mourir tôt » - tout ça c’est des balivernes.
Personne ne nous dit non plus que le plus dur, ce n’était pas les ruptures, mais la déliquescence. Le délitement des relations, des êtres, des goûts, des corps, de l’envie. Jusqu’à une sorte de marécage où il est impossible de savoir ce que l’on aime. Et ce que l’on déteste. Ce n’est pas un état aussi désagréable qu’on pourrait le penser. C’est juste une atonie. Avec des taches de lumière éparses »
Pour ma part, je vais passer à autre chose, mais il est certain que ce livre là résistera à ma fonction « supprimer les fichiers ».
NB : ce livre est bien entendu en compétition pour le prix Mind The Gap 2013. Il part favori mais nous ne sommes que fin février, ceci dit tremblez auteurs vivants sur mes étagères...Blondel est là et bien là !