Voici ma participation aux plumes d'Asphodèle, nouvelle version.
Les mots proposés cette semaine sont : funèbre – larme – ribambelle – cheminement – fleur – manifester – foule – costumes – rose (couleur ou fleur) – atmosphère – succession – carnaval – piquer – bleuté – attelage – embaumer – ancolie – cérémonie – tête – défiler – abattre – admirable – acclamation.
La Cabane.
Ce matin là, Camille avait quitté le village au moment où le rose du ciel illumine temporairement les pupilles matinales des être restés humains .
C’était la fin du printemps, Camille emprunta le sentier qui partait derrière l’église, se poursuivait à travers le bois pour parvenir à une crête herbeuse dominant la vallée industrielle d’où elle était originaire. La jeune femme s’arrêta à la porte d’une cabane autrefois pastorale. On pouvait encore imaginer les lourds attelages de chevaux de traits labourant les prés, même s’il ne restait actuellement que quelques paisibles moutons alentours.
Le cheminement de Camille fut agrémenté des parterres de fleurs émergeant d’un brouillard hivernal aujourd’hui défunt. Les campanules embaumaient l’atmosphère rieuse de cette petite montagne tandis que les primevères regroupées en nuées semblaient tout droit échappées d’une peinture éphémère.
La crête où se trouvait Camille n’était qu’une succession de bulles de rosée posées sur de fragiles corolles. Mais l’ancolie bleutée ne parvenait pas à faire oublier l’odeur de souffre rance issu de la vallée.
En effet, ce matin là, une ribambelle d’ouvriers du village et des bourgs alentours étaient réunis pour défiler et manifester leur colère devant la fermeture prochaine de leur aciérie.
Pour l’occasion, ils avaient revètu leurs costumes de travailleurs manuels et les clameurs de la foule parvenaient jusqu’à la cabane. On aurait dit un carnaval funèbre.
Les acclamations des leaders syndicaux résonnaient comme un requiem lugubre joué par des revenants dans une chapelle bientôt désaffectée.
Camille sentit un serrement de son cœur, ses yeux se mirent à lui piquer mais elle ne voulu pas pleurer. Les larmes de rage de son père et de son frère l’avaient secouée et elle culpabilisait de n’être pas avec eux pour partager cette cérémonie macabre. L’aciérie était ce qui permettait aux habitants du village de vivre, et de leur éviter de sombrer dans la folie. Que feraient-ils sans leur outil de travail, eux qui n’avaient pas d’autres buts en tête que de faire vivre leur famille ?
Gaspard était l’un des contremaîtres de l’usine, un travailleur admirable qui n’avait jamais démérité. Il était l’un des représentants des salariés lors des négociations avec les propriétaires de l’usine. Et puis, après avoir abattu ses dernières cartes, il avait rendu celle du syndicat. Il allait devoir assurer l’avenir de sa femme et de ses trois enfants sans l’usine.
Mais ce matin là, Gaspard partit rejoindre Camille dans la cabane et pendant que la foule hurlait à la mort, les deux amants poussèrent des petits cris d’amour rien qu’à eux.
La désindustrialisation fait taire les plaintes des machines mais elle ne peut stopper les cris d’amours, pas plus que la morale, cette inhumaine machine humaine...