J'ai lu ici un texte magnifique d'Asphodèle (pléonasme) commençant par " Je me souviens".
Alors moi aussi j'ai eu envie de me souvenir...à ma manière.
Lidée originale vient de chez Gwen que vous pouvez retrouver ici.
Moi aussi je me souviens…la mémoire est sélective, mon cœur vieillot n’a plus de place et je ne puis l’éclaircir comme s’il s'agissait d'une étagère de ma bibliothèque.
Je me souviens enfant alors petit bout, de mon espoir d’être juste normal. Aller à l’école pour étudier et jouer avec les copains. Mais pour moi, pas de copains. Le jour où j’arrêtais un ballon de football avec les mains sans être gardien de but, je devins la risée de la cour d’école. Les récréations n’en furent plus, comment leur expliquer que je n’avais pas de père et que ce ballon me rendait prisonnier ?
La lecture ne m’avait pas encore sauvée…Je rêvais alors d’être magicien mais c’est la vie qui m’a joué des tours.
Je me souviens de la première fée, irréelle comme une étoile filante, brillante comme l’étoile polaire, sa voix lactée me terrassa méthodiquement. Amoureux ? A cet âge on ne tombe pas amoureux, on aime, on fait l’amour, on papillonne…l’amour est bien trop obscur lorsqu’on a pas encore vingt ans.
Je me souviens de la beauté du couchant sur la plage aux contrebandiers, de la majesté du levant sur le sommet enneigé…du mariage blanc de la neige et du feu. Je me souviens du jour où tu m’as aimé pour la première fois, de la nuit où je t’ai amenée à la maternité en catastrophe avec trois sacs remplis à ras bord…la sage femme nous a demandés où nous partions en voyage … Heureusement qu’il n’y avait pas encore de maternité low-cost comme pour les compagnies aériennes, sans cela on était en surcharge de bagages…un comble pour moi qui n’ai pas fait d’études.
On l’appela Lizzie parce que c’était elle, parce que c’était nous et que nous l’avions promis à Jane lors de nos voyages dans sa campagne anglaise Jane est toujours sur notre étagère de bookins mais tu ne la lis plus…
Je me souviens des promenades à trois dans la forêt de bambous, des pauses sur les vieux bancs patinés par le temps, des rayons de soleil entreprenants qui caressaient ton visage et s’immisçaient entre tes lèvres. Tu étais si belle que seule l’ombre pouvait te mettre en valeur. Au soleil tu rougissais, dans ton sommeil parfois tu rugissais, et moi j’étais borderline.
Je me souviens des années douces et roses, du quotidien sans prose, de mes premières lunettes, de tes premières rides…de cette pétasse blonde qui te donnait systématiquement des crèmes anti-âge à la parfumerie et que tu haïssais hystériquement.
Je me souviens encore je me souviens si peu…du temps qui passe, de l’amour qui lasse. Les bambous sont toujours là, les bancs n’ont pas cassé, les amoureux se bécotent encore sur leur assise et tu es toujours belle.
Lizzie est partie vivre sa vie loin de la notre…et tu ne te souviens plus de rien…tu voudrais bien mais ton cerveau s’est vidé, ton sablier n’a pas su se retourner.
Cela ne fait rien, je me souviens pour deux, et me raccroche encore à la vie et à ton bras, ma douce amie.