Les livres classiques ont disparu et ont été remplacés par des écrits produits à la chaine par des Maisons de mots. Ces ouvrages, seuls autorisés par le Service National , ont pour but de lobotomiser les cerveaux : ils ne contiennent aucunes émotions mais déclenchent celles des hommes de manière à mieux les contrôler. Certains livres ne sont accessibles qu’en lecture commune dans des stades lors de Manifestations à Haut Risque qui galvanisent la foule.
Pour contrôler ces lectures et le système mis au point par les dirigeants du pays il y a des Agents, totalement analphabètes. Ces derniers représentent une forme d’élite de la société et pour garder leur statut, ils ont l’interdiction absolue d’apprendre à lire.
« Le rire du grand blessé » raconte le parcours d’un de ces agent, l’agent 1075.
« Les Agents ne perdaient rien, ils n'avaient pas le droit d'imaginer, de contourner la réalité pour l'exprimer par leurs propres moyens. Leurs capacités à intégrer le réel via des leçons et des images dépassaient l'imaginable. Ils récitaient des centaines de noms de rues, connaissaient le règlement intérieur des Manifestations, une bonne centaine de pages divisées en dix chapitres. Ils savaient tout, ils ne se demandaient jamais si les mots avaient un sens en dehors de ces préceptes. Le monde tournait autour des objets, de leurs fonctions, jamais de leur beauté. Ils apprenaient la force sans l'élan, l'action sans l'inspiration ».
J’ai découvert Cécile Coulon avec « Méfiez-vous des enfants sages » que j’avais déjà beaucoup aimé mais j’ai totalement pris mon pied en lisant « Le rire du grand blessé ».
C’est un livre qui est passionnant de A à Z : on est immédiatement happé par cette histoire et l’on ne peut plus s’arrêter jusqu’à la fin. Cécile Coulon nous entraîne dans son univers glacial et noir avec un style que j’ai du mal à décrire. Je n’y trouve sur le papier rien d’exceptionnel et pourtant j’ai été comme aspiré par ses mots fluides, simples et par le rythme de sa prose. Impossible de décrocher, j’ai lu le roman en 2 fois et en 2 jours seulement ce qui pour moi est pas mal même s’il ne fait que 132 pages.
Il n’y a rien à jeter, pas de gras dans l’écriture de sprinteuse de Cécile Coulon.
Le fond du roman est jubilatoire. C’est un livre qualifié d’anticipation mais je trouve que c’est presque optimiste comme vision. J’ai plutôt eu l’impression de lire une critique et une exagération de notre monde actuel et de notre société. Les analphabètes portés aux nues de la société, ça existe déjà non? suivez l'actualité des prochains jours...
Les livres produits à la chaîne existent aussi, la peur omniprésente et entretenue qui permet à l’être humain d’être un gentil mouton surtout pas à 5 pattes…
«La Peur était le vrai manitou : les Gardes avaient peur du Grand, qui craignait un soulèvement populaire. De leur côté, les citoyens étaient terrorisés par les Agents, eux-mêmes effrayés à l'idée qu'on leur retire les avantages de leur nouveau statut. L'angoisse irriguait l'organisme de la ville. »
Mais n’allez pas croire que Cécile Coulon ait écrit un manifeste politique ou philosophique chiant… « Le rire du grand blessé » est une histoire simple dans sa progression, originale au style très accessible mais avec un fond très riche, un livre dont on se souvient ensuite.
En résumé, foncez sur ce titre là qui apporte en plus une réflexion sur le pouvoir des mots, des livres, de la littérature. C’est un écrit brillant aux multiples facettes mais qui n’a pas pour but d’éblouir de lecteur, de lui en mettre plein les yeux. Cécile Coulon cherche surtout à interpeller son public, enfin c’est mon ressenti, et elle y parvient avec un talent remarquable. Une auteur à suivre !
Pour information, Cécile Coulon aura 24 ans dans quelques jours. Elle à déjà publié 6 livres (selon wikipédia), termine actuellement son nouveau roman, écrit une thèse sur le sport et la littérature et distille aussi des poèmes magnifiques qui je l’espère feront l’objet d’une édition.
Elle pratique aussi la course à pieds, adore les Maltesers et les bons mots tendance vannes (parfois bien trashies ) .
Ci-dessous, une présentation du Rire du grand blessé par Cécile Coulon à la rentrée 2013.
Ce livre est en compétition pour le prix Mind The Gap 2014.