Je sentais que ça couvait en moi au fur et à mesure de la lecture de " Rien ne s'oppose à la nuit" mais je ne savais pas à quel moment cela se produirait.
J’ai tenu jusqu’à la page 413 avant de m’effondrer et d’éclater en sanglots. C’est la première fois que je pleure vraiment en lisant. Il m’est arrivé d’avoir les larmes aux yeux (notamment avec Belle du seigneur et Clair de femme) mais de pleurer cinq minutes sans retenue jamais au grand jamais.
Que puis je dire sur « Rien ne s’oppose à la nuit » qui est le dernier ouvrage de Delphine De Vigan, énorme succès comme ses précédents romans d’ailleurs, livre extra-ordinaire qui m'a mis KO debout...
Dans ce livre autobiographique, Delphine De Vigan raconte le parcours de vie chaotique de sa mère Lucile , et par là même, raconte sa famille sur plusieurs générations. Ce livre est avant tout pour moi un message d’amour à une mère mais aussi un exutoire pour l’auteur même si elle n’est pas dupe et sait bien que l’écriture ne résout rien.
Le contexte familial qu’elle décrit est très dur : troubles bipolaires, abus sexuel , suicide et on peut se dire qu’on ne retrouve heureusement pas tous ces malheurs dans toutes les familles.
La famille, cette institution chérie et mise sur un piédestal par la société qui bien souvent n’est qu’une machine à broyer l’individu, un distributeur automatique de malheurs transmis de générations en générations, une chimère où les secrets sont bien gardés puisqu’il faut garder la face vis à vis des autres familles et des autres tout court.
Il y a souvent des maillons faibles dans les familles qui peuvent alors devenir des êtres monstrueux et dangereux pour leurs proches. Tout est question d’échelle dans le malheur et finalement les mécanismes sont les mêmes dans toutes les familles, c'est en cela que " Rien ne s'oppose à la nuit" est universel et peut toucher chaque membre d'une famille.
Delphine de Vigan a mené une véritable enquête sur ses grands parents, sur l’enfance et la vie de femme de sa mère disparue en 2008. Ce portrait de Lucile est bouleversant , cette femme a résisté toute sa vie face à ses démons, c’est un être humain magnifique (qui pourtant a souvent failli dans son rôle de mère) raconté par sa fille :
« Lucile avait des phobies, des lubies, des coups de gueule, des coups de cafard, aimait prononcer des bizarreries – auxquelles elle même croyait plus ou moins-, passer du coq à l’âne et de l’âne au coq, se mettait martel en tête, lançait les piques, jouait avec le feu, approchait ses limites.
Lucile aimait naviguer à contre-courant, mettre les pieds dans le plat, elle se savait sous surveillance,défiait parfois notre regard, s’amusait à nous alarmer et revendiquait sa singularité.
Lucile n’aimait pas la foule, le nombre, les grandes tablées, les mondanités, se laissait apprivoiser en tête à tête ou en petit comité, au cours d’une promenade, dans le mouvement de la marche.
Lucile restait secrète dans ses sentiments , ne livrait jamais le plus intime, réservait à quelques-uns le fond de sa pensée. Elle était ce mélange étrange de timidité maladive et d’affirmation de soi. »
Et que dire de l’auteur elle même, qui est allée au bout sa démarche de recherche de vérité sur sa famille, sur sa mère et sur elle même. Quelle douleur a dû être la sienne pour parvenir à déterrer et à comprendre cette vérité écrasante ! Elle ne juge pas, ne ressent pas de haine envers quiconque, ne verse jamais ni dans la complaisance ni dans la facilité, et ce qui pourrait passer pour un étalage de souffrances un peu trop nombriliste est à mes yeux un acte d’amour salvateur exprimé avec pudeur mais sans concessions aucunes.
Delphine de Vigan retranscrit ce qu’elle a vécu et imagine ce que sa mère à pu vivre. Ce livre est assurément une libération pour elle et au final pour sa famille. Quel courage et quelle dimension humaine il faut avoir pour arriver au terme d’une telle démarche. J’ai juste envie de la serrer dans mes bras, comme une mère , comme une sœur, juste envie de lui dire merci, juste envie de lui donner de l’amour…étrange comme réaction mais c’est ce que je ressens pour cet auteur.
" Rien ne s'oppose à la nuit " est un uppercut d’humanité brute, une boule d’amour et de souffrance, une expérience dont on ne sort pas indemne mais que tout être humain en tant que fils, fille, sœur, frère, parent , grand parent devrait prendre le temps de vivre. Lisez les mots de Delphine de Vigan.
Il ne faut pas passer à coté de ce livre là, le talent de l’écrivain devient anecdotique devant l’humanité de cette femme.
Encore quelques mots extraits du livre :
Le doute est un poison.
Elle rêvait de devenir invisible : tout voir, tout entendre, tout apprendre, sans que rien de palpable ne signale sa présence.
L'écriture ne peut rien. Tout au plus permet-elle de poser des questions et d'interroger la mémoire.
Je fais une pause lecture de quelques jours ou plus après ce livre, besoin de souffler…de récupérer..