Lire un roman de Charlotte Brontë est une aventure...comme arriver à en tirer une chronique quand ce n’est pas son boulot et qu’en plus, on aime vraiment l’auteur.
Villette raconte le parcours de Lucie Snowe, jeune anglaise exilée en Belgique, afin d’être institutrice au pensionnat pour jeunes filles de Madame Beck. Lucie va connaître les frémissements de l’amour avec le docteur Graham Bretton, le fils de sa marraine, puis la passion avec Paul Emmanuel, le colérique et catholique professeur de littérature du pensionnat.
Il est impossible pour moi de lire Villette sans penser à Jane Eyre et impossible de ne pas mettre en perspective ce livre avec la vraie vie de Charlotte Brontë.
Villette est moins romanesque et moins bien construit que Jane Eyre, les 300 premières pages laissent présager la suite sans toutefois épater le lecteur que l’auteur apostrophe sans cesse.
Après, Charlotte alias Lucie affirme peu à peu son indépendance, sa liberté d’esprit et de pensée. Elle crie aussi sa solitude, son résignement, son désespoir, sa foi protestante à toute épreuve et sa capacité à rester debout et digne, sans jamais se renier.
Villette est à mon avis beaucoup plus autobiographique que Jane Eyre : le livre raconte son séjour à Bruxelles en compagnie de sa sœur Emily, totalement occultée dans Villette. Paul Emmanuel n’est autre que M Heger, le professeur de littérature du pensionnat où elle exerçait, vis à vis duquel, Charlotte succomba aux affres de la passion. On retrouve aussi la traversée de Londres puis l’embarquement en pleine nuit sur le bateau qui l’amena en Belgique. On retrouve également les premières fois où Charlotte fréquenta la société Londonienne, se rendit à l’opéra par exemple.
Mais surtout on retrouve le style de Charlotte Brontë, sans concessions, affirmant ses idéaux et laissant au lecteur la possibilité de pénétrer ses pensées torturées. Charlotte Brontë ne triche pas, elle dit la vérité, c’est une obsessionnelle de la vérité et j’aime ces auteurs là, elle est mystique mais vraie : « Malgré tout, je crois qu’un mélange d’espérance et de soleil adouci le sort des plus malheureux. Je crois que la vie n’est pas du tout un début ni une fin. Et je crois tout en tremblant- j’ai confiance tout en pleurant. »
Ce long passage, particulièrement touchant est je crois un condensé de la vraie Charlotte Brontë : « Et, avec ma timidité caractérisée, je me retranchai dans ma paresse comme un escargot dans ma coquille, prétextant de mon incapacité, pour ne pas faire une chose à laquelle je désirais échapper. Abandonnée à moi-même, j’aurais certainement laissé passer cette chance unique. Pas le moins du monde aventureuse, sans aucune impulsion à des visées pratiques, j’aurais été parfaitement capable de continuer pendant vingt ans à enseigner le syllabaire à des petits enfants. Non pas que la satisfaction du devoir accomplit excusât cette résignation aveugle : ma besogne n’avait pour moi aucun charme, je m’y intéressais à peine. Mais je comptais pour beaucoup le fait d’être sans inquiétude profonde et d’être dispensée de lutter ; ne pas souffrir ou souffrir peu, était le seul bonheur auquel je pus espérer atteindre. D’ailleurs, deux vies se confondaient en moi : l’une de rêves, l’autre de réalités ; et pour peu que mon imagination puisât dans les songes suffisamment de joies pour nourrir la première, les privilèges de la seconde pouvaient se limiter au pain quotidien, au travail de chaque heure, au toit pour la nuit ».
Villette est un livre fort, qui se mérite, qui se lit plus qu’il ne se dévore. Dans Jane Eyre, publié en 1847, on sent toute l’exaltation de la femme qu’était Charlotte Brontë. Dans Villette, la même exaltation est palpable, mais ombrée de désillusions...le livre sort en 1853, deux ans avant sa mort.
Alors que dans Jane Eyre, il y a un happy-end presque trop prévisible, dans Villette, le suspens est présent jusqu’à la dernière page et disons que la fin suscite bien des interrogations...
Je suis fasciné par les Brontë et Villette ne fait qu’entretenir ce mythe.
C’est étrange : on sait que Charlotte Brontë souffrait de troubles bipolaires comme beaucoup de très grands artistes. Généralement, les maniaco-dépressifs sont créatifs quand ils sont en phase d’excitation. Plus j’en sais sur les sœurs Brontë et plus je me demande si elles ne créaient pas lorsqu’elles étaient en phase dépressive, en proie à la plus grande solitude.
Quel livre singulier que ce Villette!
Si vous aimez les univers sombres, les sentiments profonds, le romantisme exacerbé, la beauté sombre, les apparitions spectrales et la poésie de la nature, vous allez adorer ces 710 pages écrites en petits caractères.
Sinon ne montez pas dans le train.
Charlotte Brontë ferait presque passer les romans de Jane Austen pour des bluettes sans beaucoup de saveurs.
Je vous laisse avec Charlotte qui dans ce passage est presque en communion avec sa sœur Emily.
Voici ce qu’elle fait dire à Lucy Snowe, son héroïne dans Villette : « A cette époque, bien des choses suffisaient pour m’émouvoir : je craignais, par exemple, certains phénomènes du temps, parce qu’ils réveillaient en moi l’être que je m’efforçais toujours d’endormir et excitaient des désirs qu’il m’était impossible d’assouvir. Un orage éclata, une nuit, une sorte d’ouragan nous secoua dans nos lits : affolés les catholiques se levèrent pour se confier à leurs saints. En ce qui me concernait, la tempête tyrannique me maîtrisa : profondément remuée, je me vis contrainte de vivre. Je me levai et m’habillai à la hâte, et, me glissant par la croisée, tout à coté de mon lit, je m’assis sur le rebord de la fenêtre…j’éprouvais trop de plaisir à demeurer au milieu de cette nature déchaînée, dans cette nuit noire que le roulement du tonnerre emplissait de rumeurs – il chantait une ode assourdissante telle qu’aucun langage humain n’en exprima jamais ; le spectacle de ses nuages que sillonnaient et illuminaient des éclairs aveuglants de blancheur était trop magnifique. A ce moment, j’avais une envie folle de me voir enlevée par n’importe quoi, tirée de mon existence actuelle, menée au loin, vers des buts plus élevés. Mais ce désir, je devais l’étouffer… »