Dans un précédent article, je parlais de l’utilité des magazines féminins. Dans l’un d’entre eux, j’ai aperçu une mini chronique sur le livre de Jean-Paul Enthoven : « L’hypothèse des sentiments » le situant un peu facilement entre Tendre est la nuit et Belle du seigneur.
Etant un inconditionnel de Belle du seigneur, mon sang n’a fait qu’un tour et j’ai acheté « L’hypothèse des sentiments » et c’est un livre que j’ai adoré, un vrai coup de cœur.
Jean-paul Enthoven est critique littéraire et éditeur chez Grasset, il publie donc son propre ouvrage en quelque sorte, ce qui met un peu la pression. C’est visiblement un homme lettré et cultivé et je le dis tout de suite, ce livre à un coté agaçant : l’auteur cherche à en mettre plein la vue, c’est intello et parfois pompeux, les notes culturelles apparaissant en bas de page sont superflues et l’on a parfois l’impression que l’auteur nous fait une démonstration ou une dissertation sur son sujet.
Et ce sujet n’est autre que la passion amoureuse et la rencontre entre deux êtres romanesques à souhait (peut être dans le style des personnages de "Tendre est la nuit" que je n’ai pas réussi à lire pour le moment mais je n’ai pas dit mon dernier mot) et l'auteur offre au lecteur une histoire sublime avec un style de récit ébouriffant.
La question soulevée par " L'hypothèse des sentiments" est toujours la même, étreinte et éternité qui sont deux anagrammes font-elles bon ménage, la passion peut-elle durer et rendre heureux ?
Lui c’est Max, quinquagénaire séduisant et volage par choix, elle c’est Marion, 35 ans, dépressive au passé trouble, épouse d’un Baron fortuné qui perd peu à peu la tête et qui s’identifie totalement à Anna Karénine.
La philosophie amoureuse de Max avant de rencontrer Marion était celle-ci:
« 1) Un homme ne peut désirer follement une femme et partager une jouissance variée avec elle que pendant un mois s’il vit à ses cotés.
2) Le même homme peut désirer follement la même femme pendant quelques mois, et lui devoir des jouissances finalement équivalentes s’il ne partage l’existence de celle ci que de temps en temps.
3) Dès que l’on s’éprend d’une femme, il faut aussitôt s’en réserver une autre, afin de ne pas être désarçonné si la première déçoit, ou s’en fuit, ou excelle dans l’art de faire souffrir celui qu’elle a quitté ou déçu.
Le plus étrange fut que, malgré ses fondamentaux peu propices, il vécut auprès de Marion des épisodes dont l’intensité réchauffa à plusieurs reprises son sang-froid, sans omettre, symétriquement de refroidir son sang chaud. Sa volonté de plaisir se querellait souvent avec sa chasse du bonheur.
Il appartenait, pour le meilleur et pour le pire, à une religion – celle des athées de l’amour – dont les fidèles finissent souvent seul.
Il le savait mais il ne voyait là rien qui fut un drame. Qui, au bout du compte peut se vanter de ne pas finir seul ? »
La proximité avec Belle du Seigneur est bien réelle, Jean-paul Enthoven décortique le mécanisme de la passion amoureuse et en arrive aux mêmes conclusions que Cohen : Elle est impossible dans la durée et ne mène pas au bonheur, elle peut même entraîner une certaine mort. Mais il ne la condamne pas pour autant, l’hypothèse sentimentale de l’auteur est peut être qu’elle est indispensable à la vie amoureuse de l’être humain.
Les deux personnages sont très fouillés et Jean-paul Enthoven déroule son récit sous l’angle psychologique des protagonistes, de manière très analytique et brillante.
La galerie des seconds rôles est très réussie : on croise un détective privé, une voyante, un richissime décadent, et même le fantôme d’un cinéaste…
L’histoire est passionnante à chaque page, il n’y a aucun temps mort, l’auteur usant et abusant de stratagèmes d’écritures pour captiver son lecteur. C’est brillant, l’écriture est fluide et inspirée et le discours sur la passion est fort et maîtrisé.
J’ai vraiment aimé « L’hypothèse des sentiments », c’est un vrai coup de cœur et j’ai envie de le partager avec vous.
Pour terminer cette chronique, ces paroles prononcées par Oscar, l’ami de Max, qui donnent le ton du roman : « Tu vois, Sisyphe roule son rocher, je m’épuise à force de courir après Hubertus, nous n’en finissons jamais…La pluie sera toujours plus forte qu’un essuie-glace…la trahison plus forte que l’amour…C’est sans espoir… »
C’est un livre envoûtant qui ne laissera personne indifférent : soit il agacera au plus haut point, soit in sera adulé.
Quant à moi, je vais enfin lire Anna Karénine, enfin essayer...