Troisième livre en compétition pour le 5 ième prix littéraire des hebdos en région : « Avant le silence des forêts » de Lilyane BEAUQUEL.
Elle est agrégée de lettres, enseignante et chargée de mission culture à l’université de Lorraine.
C’est son premier roman, il est édité chez Gallimard, a été retenu à l’unanimité par le comité de lecture.
L’histoire tient en 2 mots : 4 jeunes Allemands liés par l’amitié sont enrôlés dans la grande guerre et partent au front en Lorraine. L’un d’eux, Simon, consigne ses impressions et ses ressentis sur un carnet.
Le problème lorsqu’on est membre du jury c’est qu’on ne choisit pas les livres en compétition et je dois avouer que ce thème là est aux antipodes de ce que je lis en général : tout ce qui est historique et les récits de guerre me laissent froid en général.
El là, j’ai lu le prologue et j’ai pris une première claque : en quelques mots j’ai compris que j’avais sous les yeux un livre exceptionnel. Et des claques j’en ai pris pendant 300 pages.
300 pages de poésie pure, un style époustouflant, une véritable musique des mots, une symphonie de la mort.
L’auteur décrit l’enfer, la barbarie, l’innommable avec une lucidité et une distanciation particulièrement brillante. Elle ne cherche en aucun cas à rendre beau l’atrocité de cette guerre mais sa prose est enchantée. Simon consigne sans relâche les absurdités des tranchées, les véritables ennemis n'étant pas les Français dans celle d’en face mais peut être davantage les officiers en arrière ligne.
Au milieu de ses désesérances humaines, l’auteur s’attache néanmoins à faire scintiller des lueurs d’espoirs à travers les souvenirs des personnages, leur enfance, à travers la magnificence de la nature et des saisons.
C’est étrange mais alors même que l’avancée du récit est implacable et la mort inéluctable, je crois que ce livre peut arriver à donner de l’espoir aux plus désespérés, je ne saurais expliquer pourquoi.
C’est poignant, bouleversant, les mots de Lilyane Beauquel sont totalement hypnotiques, ce livre est fantastique, c’est presque une expérience littéraire, une transe d’humanité. Un vrai coup de cœur pour moi.
Et pour vous imprégner du livre : la page 208 intitulée « trou », prise totalement au hasard.
J’avance comme nageant, en eaux profondes avec la certitude de rien sinon celle de l’enfoncement dans cette soie dernière. Les compagnons sont adossés au muret mal agencé, les larmes et le cœur réduits à leur misère, sans témoins. Quelqu’un geint par là. Des rats fuient de partout, Heinrich prie. Ne pas chanter, ne rien murmurer, l’eau noire en moi.
Je ne suis à l’abri de rien, la nuit se défait, et avec la beauté retrouvée du printemps mes membres s’agitent, la vie cherche ses points d’appui sur les barrières des champs dans l’évident projet de la campagne livrée aux bouffées de chaleur, aux ferments et aux racines empêchées d’être. Les saisons détournées, ces suspensions de tempêtes, ces ciels pour le moins qui vaille : la mitraille et les envols de gaz mal orientés, tout cela depuis plus d’un an, qui ne finit pas.
« Être près de toi, Anke, dans le décorum de velours et des fruits d’or d’un repas de noce, les oreillers brodés, voilà à quoi je pense. Donne moi ta main, ouvre ton regard et que mon désir s’y épuise ».
Je ne fais que raviver une envie de bonheur depuis longtemps renoncé, nous sommes un et nous sommes mille, et des millions, nous sommes uns et tous et seuls. Rien ne permet plus de communiquer avec ceux que nous avons quittés. Toujours, dans ce trou qu’on nous fait, restera notre silence.