C’est une maman seule et paumée qui emmène ses deux petits garçons à la mer pour la première fois. Sauf qu’on est en hiver et en semaine, qu’il pleut des hallebardes dans cette station balnéaire, que l’hôtel fantôme où ils dorment est miteux. Sauf que cette mère est complètement névrosée : « J’ai tout quitté, la ville et moi avec : mon corps était sans poids, sans douleur, je m’enfonçais dans quelque chose de doux et me défaisais de la peur, de la colère et de la honte aussi. J’étais arrivée dans un monde où j’ai ma place réservée. Ni endormie, ni réveillée, je suis une plume. Ni endormie ni réveillée, je me défais, je m’étale, une bobine qui se déroule. Pourquoi est-ce qu’après j’ai basculé ? Pourquoi est-ce qu’après je me suis mise à rêver ? »
Névrosée, voire gravement dépressive donc un peu lucide aussi...l'éternel paradoxe.
« On s’efforce de vivre du mieux qu’on peut mais tout ça disparaît aussitôt. On se lève le matin mais ce matin-là n’existe pas plus que la nuit d’avant que tout le monde a déjà oubliée. On avance sur des précipices, je le sais depuis longtemps. Un pas en avant. Un pas dans le vide. Et on recommence. Pour aller où ? Personne le sait. Tout le monde s’en fout. »
«…je me suis demandé combien de temps un enfant pouvait rester le fils de sa mère, à partir de quand il était méconnaissable, je veux dire : pareil aux autres. A partir de quand ? Les hommes au comptoir avec leurs ventres ballotés par la toux, avec leurs pensées sales sur le cul des femmes, ces hommes-là, est-ce qu’ils étaient encore les fils de quelqu’un ? »
On sait dès le début de l’histoire que ça va très mal finir…et Véronique Olmi plonge le lecteur dans l’abîme en même temps que cette mère et ses deux enfants.
J’ai adoré Bord de mer et Véronique Olmi est un vrai coup de cœur pour moi, j’ai lu trois de ses romans en quelques mois.
Ce livre m’a fait penser à celui de David Vann « Sukkwan Island » où un père seul et paumé emmène son fils sur une île déserte. La différence, c’est que là où l’histoire de Vann ne décolle jamais et où la terreur annoncée ne marche pas , celle de Véronique Olmi est terrifiante, horrifiante, implacable, glaciale, gênante.
« On ne parlait pas, mais on s’entendait. On entendait notre respiration, de plus en plus forte, est-ce qu’il y avait des gens derrière ces portes pour entendre souffrir mes gosses ? Est-ce que leur respiration rentrait dans leurs rêves et soufflait dessus pour les éteindre ? J’aurais tellement aimé ça, bon Dieu, que le souffle de mes mômes éteigne tous les rêves des gens que je connais pas, qu’à la place il y ait plus que du blanc, un peu de place pour le blanc, derrière chaque porte. »
Il y a pourtant beaucoup de tendresse et parfois même de la poésie dans les mots de Véronique Olmi, mais jamais d’espoir. Le retour à la réalité est comme la fin d’un rêve qui nous ramène dans le cauchemar de l’existence. Tout est sombre, gris, noir, humide, moisi…
« Qu’est ce qu’il avait à me regarder comme ça ? Il avait jamais vu quelqu’un pleurer ? Où pleurent les gens ? C’est la question que je me pose souvent, bizarre qu’on croise jamais dans la rue des gens en train de chialer. Ils téléphonent beaucoup plus qu’ils pleurent, peut-être qu’on se détesterait moins si on chialait plus. »
Le dernier chapitre, celui du dénouement et de la libération du lecteur est très dur à lire et paradoxalement, je trouve que c’est le moins bon du livre.
Bord de mer qui fut le premier roman de Véronique Olmi, paru chez Actes Sud en 2001 après de nombreuses œuvres de théâtre, est un grand livre, de ceux qui resteront. J’ai encore envie de la lire et je vais me procurer un autre de ses romans. Pour moi, c’est une auteur avec un immense talent, sa plume est somptueuse, une vraie rencontre pour moi.
« Maintenant la mer devait être noire elle aussi, comme ce ciel rétrécis. La mer était gonflée de marins morts jetés dans ses eaux. Tout doux. La mer était un grand cimetière flottant et froid. Est-ce qu’il y avait encore le château ensorcelé de Kevin sur la plage ? Est-ce que l’océan avait avancé jusqu’à lui pour en faire qu’une bouchée ? Et tous ces coquillages…d’autres mômes les ramasseront, quand l’eau sera toute bleue et que le soleil aura crevé le ciel. Il y en aura plein les classes, des coquillages morts, des mots d’excuse ramassés sur les plages. »
Merci à Somaja de m’avoir offert ce livre.
Pour ceux qui veulent lire ma chronique sur « Cet été là » c’est : Ici.
J’espère chroniquer bientôt « Le premier amour » que j’ai également adoré.
Bord de mer de Véronique Olmi est sélectionné pour le Prix Mind The Gap 2014.