A une époque je lisais quantités de récits d’alpinisme, j’étais passionné par ces aventures humaines et sportives. J’ai lu bien sur, « Annapurna premier 8000 », le livre de Maurice Herzog où il raconte son ascension victorieuse. Puis j’ai lu d’autres versions, celles de son compagnon de cordée au sommet, Louis Lachenal et de Gaston Rébuffat, toutes deux très divergentes de la version officielle. Une polémique est née sur la réalité de l’atteinte du sommet par les deux hommes en ce jour de 1950. La réalité la plus probable est que Lachenal parvint à se sauver et à sauver Herzog de la mort en lui faisant renoncer à gravir les quelques centaines de mètres restant pour atteindre l’Annapurna. Ils prirent une photo censée immortaliser la victoire et furent rejoints par deux autres camarades alpinistes dans leur tragique descente. Lachenal qui perdit une partie de ses pieds fut totalement ignoré par les médias et le grand public, Herzog partiellement amputé des pieds et des mains devint ce héros national, cette légende dont la France d’après guerre avait tellement besoin pour effacer la trouble période de l’occupation et de la collaboration. Herzog devint ministre et mondialement célèbre et resta dans cette supercherie jusqu’à sa mort il y a quelques semaines.
Félicité est sa fille, dans "Un héros", elle raconte son enfance, sa famille, son frère, et son père dont elle dit ceci : « Mon père ne connaît pas de lois. C’est un hémiplégique de la sensibilité, sauf à l’égard ce ceux qui ont connu des amputations, les mêmes souffrances que lui .Autrui n’existe pas, sauf à le mythifier davantage. Pour sauver une apparence d’une ascension de légende, il a réécrit l’histoire, trahit et négligé son entourage sans jamais avoir le sentiment d’avoir fait mal puisque la société le jugeait si bien ».
Une fois encore, je dirais, tout le monde n’a pas la chance d’être orphelin.
Félicité Herzog et son frère Laurent, doivent assumer cette paternité. Du coté maternel, c’est la dynastie industrielle des Schneider, des puissants, des ducs et des comtesses, nobles parmi la noblesse, ouvertement antisémites et collaborationnistes pendant la guerre. Leur mère épousant un juif résistant sera bannie temporairement de la famille puis renouera doucement après sa séparation d’avec son mari.
Félicité et Laurent doivent faire face à cet héritage familial, à un père absent obsédé par son image et ses conquêtes féminines et une mère prof de philo, physiquement présente mais muette pour tout le reste.
Laurent est un enfant perturbé, violent avec Félicité. Petit à petit, se mettant tellement la pression pour être à la hauteur de sa famille, il s’enfoncera dans la folie, la schizophrénie et finira indirectement par en mourir…quand la famille interviendra enfin il sera trop tard : « l’aveuglement général : des parents, des fratries recomposées, des tantes, des curés, des copains, des professeurs. Laurent était passé à travers toutes les mailles du système. On ne pouvait se résoudre à la simple éventualité d’une affection mentale. Il était intolérable à notre univers, dans lequel tout ne devait être que réussite, puissance, filiation superbe, séduction et légende, d’avoir un malade, mental de surcroît. Chacun faisait preuve d’imperméabilité intellectuelle ».
Félicité, elle, s’en sortira en travaillant dans la finance internationale, en s’éloignant, en fuyant, question de caractère sûrement plus fort que celui de son frère.
Un héros est son premier roman et c’est un livre coup-de-poing. L’auteur livre sa vérité, elle ne mâche pas ses mots et écrit avec une liberté et une précision qui a dû la délivrer d’une certaine culpabilité. Mais ces lignes au style léché et impeccable lui ont certainement coûté cher. C’est plus qu’un frère qu’elle a perdu ici, c’est son double, c’est une partie d’elle même...
Ce livre et cette démarche me font inévitablement penser à « Rien ne s’oppose à la nuit » qui était un hommage vibrant à une mère. Un héros est un hommage à un frère, un semi pardon à une mère et l’assassinat d’un père même si Félicité Herzog reconnaît que son père fut une victime de son propre mensonge. « Comme pour Laurent, il était un père idéalisé mais inexistant. Pire il était traître et dangereux. Seuls primaient son rapport de séduction fatale avec les femmes et leur assujettissement absolu à sa légende ».
On ressort de ce roman qui n’en est pas du tout un (on n’invente pas ce que raconte Félicité Herzog) sonné et ému. Il en faut du courage et du talent pour briser le silence, casser le secret familial et coucher sur le papier son histoire personnelle. On reverra Félicité Herzog en tant qu’auteur, c’est certain. Ce témoignage est essentiel, il peut toucher être dont l’humanité ne s’est pas encore dissoute…
Pour en savoir plus et prolonger cet article s'il vous a touché(e), voici l’interview de Fécicité Herzog à La Grande Librairie, lors de la sortie du livre…
Ce livre est en compétition pour le prix Mind The Gap 2013.